Tunisie. Un remaniement en deçà des attentes

C’est fait ! A l’issue d’un accouchement dans la douleur, Ali Laârayedh a enfin annoncé la composition de son gouvernement. Au programme : une cure d’amincissement limitée et des personnalités dites « indépendantes » aux quatre ministères régaliens. Est-ce le bouleversement escompté ou un simple changement cosmétique ? En voici une première lecture.
Premier constat, le nouveau Premier ministre a épuisé le délai légal « anti vacuité » qui lui était imparti : il a attendu la toute dernière minute pour sortir de son huis-clos marathonien de 15 jours et affronter opinion et médias, donnant des sueurs froides aux institutions de l’Etat anxieuses face à une telle prise de risque.
Cela ne se fait pas sans conséquence : l’énumération des nouveaux noms en devient presque une fin en soi, d’autant qu’aucun agenda politique n’a été esquissé. La veille, l’ensemble des interlocuteurs politiques d’Ennahdha avaient quitté les pourparlers pour diverses raisons. L’élargissement de la gouvernance à d’autres partis n’était déjà plus d’actualité.
 
En voici la liste qui sera soumise au vote à l’ANC lundi, après avoir été présentée cet après-midi au Président Marzouki :
 
    Noureddine B'hiri, ministre auprès du Chef du gouvernement,
    Ridha Saidi, ministre auprès du Chef du gouvernement chargé des Affaires économiques,
    Abderrahmane Ladgham, ministre auprès du chef du gouvernement chargé de la gouvernance et de la lutte contre la corruption,
    Rachid Sabbagh (ancien magistrat), ministre de la Défense nationale,
    Nadhir Ben Ammou (magistrat), ministre de la Justice,
    Othmane Jarandi, ministre des Affaires étrangères,
    Lotfi Ben Jeddou (magistrat), ministre de l'Intérieur,
    Ilyes Fakhfakh, ministre des Finances,
    Mehdi Jomaâ, ministre de l'Industrie,
    Khalil Zaouia, ministre des Affaires sociales,
    Abdellatif Mekki, ministre de la Santé,
    Abdelkarim Harouni, ministre du Transport,
    Salem Labyadh, ministre de l'Education,
    Abdelwaheb Maatar, ministre du Commerce et de l'artisanat,
    Tarek Dhiab, ministre de la Jeunesse et des sports,
    Samir Dilou, ministre des droits de l'Homme et de la justice transitionnelle,
    Mongi Marzouk, ministre des Technologies de l'information et de la communication,
    Naoufel Jammèli, ministre de la Formation professionnelle et de l'emploi,
    Noureddine Khadmi, ministre des Affaires religieuses,
    Slim Ben H'midane, ministre des Domaines de l'Etat et des Affaires foncières,
    Lamine Doghri, ministre du Développement et de la coopération internationale,
    Moncef Ben Salem, ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche scientifique,
    Mehdi Mabrouk, ministre de la Culture,
    Mohamed Ben Salem, ministre de l'Agriculture,
    Jamel Ghamra, ex PDG de la Compagnie tunisienne de navigation (CTN), ministre du Tourisme,
    Mohamed Salmane, ministre de l'Equipement et de l'environnement,
    Sihem Badi, ministre des Affaires de la femme et de la famille.
 
 Liste des secrétaires d'Etat :
 
    Said Mechichi (Ettakatol), secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Intérieur chargé des affaires régionales et des collectivités locales,
    Chadli Abed, secrétaire d'Etat auprès du ministre des Finances chargé de la Fiscalité,
    Chahida Ben Fraj Bouraoui, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Equipement et de l'environnement chargée de l'Habitat,
    Sadok Amri, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'équipement et de l'environnement chargé de l'environnement,
    Houcine Jaziri, secrétaire d'Etat auprès du ministre des Affaires sociales, chargé de la migration et des tunisiens à l'étranger,
    Habib Jomli, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Agriculture,
    Leila Bahria, secrétaire d'Etat auprès du ministre des Affaires étrangères,
    Fathi Touzri (ex PDP / al Joumhouri), secrétaire d'Etat auprès du ministre de la jeunesse et des sports chargé de la jeunesse.
    Nidhal Ouerfelli, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'industrie chargé de l'énergie et des mines,
    Noureddine Kaabi, secrétaire d'Etat auprès du ministre du Développement et de la coopération internationale.
 
Premiers enseignements 
Le nouveau gouvernement, dont on avait dit qu’il serait « restreint », ne se déleste que de 5 ministres, soit un nouveau total de 37 membres (24 ministres, 3 ministres conseillers auprès du chef du gouvernement et 10 secrétaires d’Etat). Cela s’est fait au moyen de la suppression de certains secrétariats d’Etat (-3 aux Affaires étrangères) et un ministère de l’Environnement annexé à l’Equipement.
Le renouvellement par des indépendants n’est que de40%. La troïka conserve 17 portefeuilles : 10 ministères reviennent à Ennahdha, 4 à Ettakatol, et 3 au CPR (l’impopulaire Maâtar est muté de l’Emploi au Commerce). Le gouvernement reste donc majoritairement politique. Ce qui fait déjà dire à l’opposition qu’il s’agit d’une « troïka bis », 2èmeédition d’un projet qui s’était soldé par un échec.
- 3 femmes seulement : une seule réellement ministre détentrice d’un portefeuille, et deux secrétaires d’Etat. C’est « inadmissible » selon nombre d’observateurs et associations féministes qui n’ont pas manqué de signaler la concomitance de cette régression avec la Journée mondiale de la Femme.   
- 3 juges ont été nommés aux 3 plus importants ministères régaliens : les portefeuilles directement liés à la sécurité intérieure. Ce sont des noms peu connus du grand public.
A défaut d’avoir trouvé des technocrates dignes de ce nom, on a donc voulu privilégier une certaine image d’intégrité. Notamment à l’Intérieur, où l’on est allé dénicher à Kasserine un magistrat, Lotfi Ben Jeddou
, procureur de la République, jouissant d’une grande reconnaissance auprès des locaux pour son rôle et sa rigueur dans l’affaire des martyrs de la révolution.   
Le revers de la médaille sera l’inexpérience de l’intéressé dans le champ sécuritaire et une méconnaissance de la « dékhiliya », n’étant pas un homme du sérail.
Deux écueils déjà pointés du doigt : Ali Laârayedh n’a pas donné de réponse claire à 2 questions essentielles : la dissolution des ligues de protection de la révolution (il se contente des mêmes propos vagues sur la violence et le respect de la loi), et le fait de savoir si les membres de son gouvernement pourront ou non se présenter aux prochaines élections.
 
Le problème de l’indépendance
Sur le papier, le nombre important (une vingtaine) de nouveaux éléments officiellement indépendants au sens politique du terme, c’est-à-dire non encartés dans un parti, parait séduisant.
C’est néanmoins entre les lignes qu’il faut lire la configuration des entrants. Un nom notamment, celui de Salem Labyadh, suscite la controverse en ce qu’il est représentatif d’une « indépendance théorique », mais d’une neutralité plus que douteuse.
Ses détracteurs le qualifient de « crypto nahdhaoui ». Rien ne permet d’établir une appartenance secrètement islamiste. En revanche, ce qui ne fait pas l’ombre d’un doute, en se référant à ses écrits et ses déclarations publiques, c’est que l’universitaire est un identitaire ultra nationaliste, comparable dans ses prises de positions à la ligne « national-révolutionnaire » prônée par Abderraouf Ayadi.
D’où une concordance en termes d’objectifs et un recoupement dans les projets avec l’aile dure d’Ennahdha, et pas que sur le plan de l’Education dont Labyadh estime qu’il faut la remettre « sur les rails de l’islam et de l’arabité ». En plus d’être un négationniste de l’holocauste, le nouveau ministre de l’Education associe par ailleurs « l’élite du sahel qui a gouverné le pays » à son ennemi juré, la francophonie, qu’il dit vouloir éradiquer.
De quoi faire trembler, réellement cette fois, les adeptes du Harlem Shake dans les lycées.
 
Seif Soudani
Le courrier de l'atlas

الصدام لإسقاط النضام و بربي سوؤال شكون قتل شكري

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